13 mars 2007

Propositions gaullistes pour la recherche en France et en Europe


Vous trouverez ci-dessous le texte d'une lettre assez fournie de Nicolas Dupont-Aignan à l'attentention du collectif "Sauvons la recherche" dans laquelle il développe son constat et ses propositions pour la recherche en France et en Europe.


Messieurs,


J’ai bien reçu les correspondances que m’ont adressées plusieurs chercheurs membres de votre association me demandant ma position sur la loi de programmation et d’orientation de la recherche (LOPR) actuellement en débat devant le Parlement.
J’ai suivi ces débats et les propositions de votre association et tiens, avant toute chose, vous remercier pour cette contribution civique au débat public sur un enjeu national pour l’avenir de la nation.


Notre système de recherche, ce que j’appellerai le « système français de recherche et d’innovation » (SFRI) souffre d’une double carence.
Elle est tout d’abord quantitative : le général de Gaulle nous avait laissé une France devenue quatrième puissance industrielle du monde grâce à un effort de recherche représentant 6% du PIB. De renoncements en renoncements, sous tous les gouvernements, la préférence pour le facile et l’immédiat, le sacrifice du long terme ont mené où nous en sommes.

Mais un effort budgétaire, aussi impératif qu’il soit, n’aurait que peu d’impact sans une réforme profonde du système lui-même pour l’adapter aux défis de la III° révolution industrielle qui ne sont plus les mêmes que ceux de la II° pour laquelle il a été conçu.
Vous soulignez à juste titre que la recherche fondamentale ne doit pas être soumise à l’impératif de priorité aux applications prévisibles. Le grand philosophe libéral David Hume soulignait que la production de connaissance fondamentale est un geste gratuit, pour l’amour de l’art. Nos compétiteurs américains, dans les débats préalables à la mise en place du GPRA – l’équivalent de notre LOLF – ont souligné que l’affectation d’indicateurs quantitatifs à la recherche fondamentale aurait eu pour effet que l’on découvrît jamais l’électricité ou la fission nucléaire.

Mais, bien sûr, cela doit être compensé par deux exigences :


· l’une qualitative d’évaluation de l’activité de recherche qui la maintienne au plus haut niveau international, soit une revue par les pairs, constante et d’un niveau d’ouverture et de variété suffisant pour compenser les tendances inhérentes au conservatisme d’une communauté qui se refermerait sur elle-même.


· L’autre est celle de la diffusion rapide vers le milieu socio-économique. Je regrette à cet égard l’opposition qui est apparue dans les débats de « sauvons la recherche » entre recherche et innovation. « L’innovation est une invention qui a trouvé son marché » nous enseignait Schumpeter, et une politique publique de la science ne peut avoir pour objet le seul amour de l’art mais doit produire, à un terme qui n’est pas toujours immédiat, des actifs technologiques tangibles.


Vos critiques essentielles vont à la création de l’Agence nationale pour la Recherche (ANR). Je ne suis pas hostile par principe à la création de cette agence. Il est nécessaire que l’Etat dispose d’une agence de programme qui oriente la recherche vers les grands enjeux à long terme : les sources d’énergie qui remplaceront le pétrole, les remèdes aux grandes pandémies, l’évolution des technologies de l’information… Vous le savez, notre recherche, déjà structurellement déficitaire, l’est encore plus lorsque l’on regarde ses domaines, avec un sous-investissement dramatique dans le secteur des technologies de l’information comme technologie générique, qui est l’une des causes – malheureusement pas la seule – de notre décrochage industriel.

Une ANR pertinente devrait avoir deux rôles en tant qu’agence de programme : permettre un pilotage stratégique à long terme et transversal des grands enjeux, et, par ce même fait, stimuler un décloisonnement de l’activité des organismes de recherche, qui peuvent être emmenés par la pente naturelle de l’entropie organisationnelle à se refermer sur eux-mêmes et à perdre en efficacité. De même la création de l’Agence d’Evaluation de la Recherche (AER) doit avoir pour objectif de maintenir la qualité de la production scientifique dans tous les domaines, sans oublier les Sciences Humaines et Sociales, cruellement absentes dans ce dispositif, au meilleur niveau de l’état de l’art mondial et, bien sûr, de contribuer à son progrès.

Une autre de vos critiques, que j’approuve totalement, concerne le manque de lisibilité du système, qui est le fruit du conservatisme de notre technocratie qui empile les structures sans vouloir et savoir en supprimer aucune. Je serai ici très clair : les organisations publiques qui ne sont pas, par nature, soumises à la pression du marché, doivent se soumettre à des impératifs de performance interne concernant la qualité de la production des laboratoires, de la réalisation des thèses, de l’alignement des objectifs des organismes sur la politique publique nationale de la recherche votés par la représentation nationale. Beaucoup d’efforts, je le sais, sont réalisés actuellement au sein des organismes, et je note avec satisfaction que le CEA, entre autres, s’est doté d’une démarche qualité. Et bien sûr, comme vous le dites fort justement, quand un organisme est devenu obsolète, il faut avoir le courage politique de le réformer radicalement, voire de le supprimer, et non de le faire dépérir en implantant un organisme parallèle.

Les premières des réformes à entreprendre sont celles des administrations centrales des ministères de l’Education nationale et de la recherche qui n’ont pas les capacités nécessaires et légitimes de pilotage d’une politique publique de la recherche et font peser sur ses opérateurs une charge bureaucratique préjudiciable.
Ces points de convergence étant soulignés, je tiens à marquer mon désaccord avec vos propositions en ce qui concerne le refus du lien entre politique de la recherche, politique de l’innovation et politique industrielle.

Autant la performance d’une politique de la science ne doit pas dépendre d’objectifs de performance économique à court terme, autant la performance globale du développement économique et social national dépend de la rapidité et de la qualité de la diffusion des produits de la recherche vers l’économie et la société tout entière.
Cette diffusion de la science vers l’innovation passe par deux canaux : le soutien aux PME basées sur la science et le partenariat avec les grandes entreprises.


· Le manque de soutien au développement des PME basées sur la science est criant dans notre pays. La politique de l’OSEO – ANVAR est très timide au regard du dynamisme de nos grands compétiteurs en ce domaine. Une politique intelligente de pôles de compétitivité serait de valider la cohérence interne de ces pôles par la présence des trois composantes d’un système d’innovation : la recherche universitaire, un bassin industriel disposant d’atouts technologiques (connaissance tacite héritée des points forts de l’industrie existante ou en déclin) et une capacité de financement adaptée à la prise de risque par des innovateurs qui n’ont, par définition, par de visibilité marchande.


· La faible implication des grandes entreprises dans le dispositif de recherche. La financiarisation de l’économie et la dictature de l’actionnaire privilégient les investissements à court terme, rendant non pertinents les investissements en R&D. L’entreprise française a un budget moyen de R&D inférieur à celui de l’entreprise moyenne européenne ou allemande et l’intensité de sa recherche industrielle est une des plus basses des pays occidentaux (3,1% contre 4,2% au Japon, 4,3% en Allemagne, 4,9 aux USA, 6,5% en Suisse et 7,9% en Finlande !). En outre, il est regrettable que des préventions héritées entre secteur public et secteur privé ne permettent pas une plus grande collaboration : les entreprises ne sous-traitent que 1,3% de leur R&D aux universités et organismes de recherche qui n’en tirent que 2,5 de leurs ressources.
Je voudrais clore cette revue des points clés d’une politique de la science et de l’innovation par la question, que vous jugez à juste titre cruciale, du financement.

Nonobstant ces réformes structurelles, organisationnelles et culturelles indispensables, l’effort financier qui doit être fait pour rester dans la compétition mondiale est considérable.
La situation de notre pays devient maintenant dramatique : aucun budget n,’a été voté en équilibre depuis 1974, sans que cela ait contribué à l’accroissement de nos actifs scientifiques et technologiques. Chaque Français a maintenant une dette envers l’Etat de 17 500 euros, un Etat boursouflé, sans stratégie, dont la charge bureaucratique pèse sur l’activité de chacun alors que nous avons besoin d’un Etat fort et stratège.
Aussi, je formulerai quatre propositions :

· Sortir les dépenses de recherche des funestes critères du pacte de stabilité, afin de permettre une politique contracyclique d’investissement dans la science et la constitution d’actifs technologiques.

· Compte tenu de la réduction de nos marges de manoeuvre budgétaires et pour sortir de la chappe bureaucratique du PCRD, de lancer un grand emprunt entre pays d’Europe ayant des enjeux communs : développement durable, politique de l’énergie, infrastructures, R&D partagée…
· Installer une politique de financement des PME basées sur la science par une affectation d’un pourcentage des achats des administrations (à l’image des small business innovation research programmes américains), ce qui nous est actuellement interdit par la politique des marchés publics imposée par l’Organisation de Bruxelles.

· Affecter à la recherche les gains de productivité interne réalisés par les administrations publiques, dont j’évalue le montant au minimum à 20% des 100 milliards des frais de structure du budget de l’Etat.

Quoi qu’il en soit, c’est avec l’ensemble des acteurs de la politique de la recherche et de l’innovation, dont votre association, que cet enjeu national et les conditions pratiques de sa mise en œuvre doivent être discutés. Je profite de l’opportunité que vous m’offrez pour m’élever contre l’expulsion ignomineuse du mathématicien Laurent Lafforgue du Haut Conseil sur l’Ecole, qui n’ira pas bien loin s’il expulse toute opinion divergente et ne rassemble que les vassaux fidèles du processus de destruction de notre système éducatif depuis plus de trente ans.

Aussi je vous propose d’organiser ensemble cette concertation et ce débat public, dont je me propose de porter les enjeux au cœur du débat politique.
Je vous propose que nous nous rencontrions au plus tôt pour en définir les modalités.

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