05 octobre 2007

Voyage au coeur des dysfonctionnements de la justice, par Nicolas Dupont-Aignan

La vie parlementaire a repris. Les deux premières séances de questions d’actualité, mardi et mercredi, ont été des plus banales.

J’avais l’impression d’assister à un éternel jeu de rôle. D’un côté l’opposition qui entonne toujours le même refrain, pointant du doigt la régression sociale mise en œuvre par le méchant gouvernement de droite, sans jamais d’ailleurs avancer la moindre proposition alternative. De l’autre, le gouvernement qui dans un réflexe pavlovien répond à ces critiques en agitant le souvenir désormais bien lointain du bilan de la gauche et de l’échec des 35 heures.

Quant aux questions des Députés UMP, elles ne servent que de faire-valoir aux Ministres. Selon la formule qu’utilisent les Députés eux-mêmes, elles sont « téléphonées », elles relèvent d’une pure mise en scène.

Faut-il que notre démocratie soit tombée bien bas pour que chaque semaine se répètent les mêmes pitreries ! Spectacle d’autant plus affligeant que les parlementaires, lors des autres séances, débattent avec sérieux, sans anathème, des sujets graves. Pourquoi alors cette dérive des mardis et mercredis ? Comme si la présence des médias et l’affluence soudaine des Députés conduisaient tout à coup l’Assemblée à perdre la raison !

Heureusement, le travail parlementaire ne se réduit pas à cet exercice dérisoire. A titre d’exemple, appartenant à la mission d’information créée par le Président de la Commission des lois sur l’exécution des peines de justice, j’ai participé hier à une journée de visite et de dialogue au Tribunal de Grande Instance de Paris pour comprendre concrètement pourquoi tant de décisions de justice ne sont pas appliquées dans notre pays. Au terme de cette journée, je retiens deux enseignements.

  • les magistrats font preuve dans l’ensemble de bonne volonté contrairement à ce qui est souvent dit mais sont débordés face à l’inflation des dossiers. Cette situation s’explique par trois raisons : la multiplication des requêtes, la complexité des lois de plus en plus changeantes et enfin l’insuffisance criante de moyens ;
  • le retard d’organisation du Ministère de la Justice est colossal. J’ai ainsi pu constater avec mes collègues que bon nombre de décisions de justice ne sont pas appliquées, à l’exception de la procédure de comparution immédiate souvent suivie d’un mandat de dépôt en cas de peine de prison.

Il faut ainsi compter sur la bonne volonté des délinquants pour qu’ils exécutent leur peine ! En effet, si les policiers ont arrêté le coupable, l’audience est tout d’abord renvoyée à plusieurs mois. Il est rare alors que le délinquant se présente devant le Tribunal et, s’il n’est pas présent, il se voit notifier par huissier le jugement. Il suffit qu’il ait déménagé pour que, bien évidemment, il ne reçoive pas le document. Dans ces conditions, l’intéressé est simplement inscrit dans le fichier des personnes recherchées mais on peut alors considérer qu’il n’y a à peu près aucune chance qu’il soit jamais retrouvé.

A cela s’ajoute dans notre pays l’absence d’une obligation de domiciliation comme dans d’autres pays d’Europe (ce qui explique que certains délinquants se domicilient chez leur avocat, ce qui est un comble) et les usurpations d’identité qui se multiplient, d’autant que l’état civil des ressortissants étrangers est bien souvent invérifiable.

On assiste donc à une situation ubuesque, la machine judiciaire fonctionne mais cale au moment décisif, celui où se joue précisément sa crédibilité, l’exécution des peines. Face à ce dysfonctionnement majeur, il semble régner une sorte de fatalisme ambiant.

Pour la justice des mineurs, la situation est encore pire. Un seul chiffre : 8700 mineurs déférés en 2006 au Tribunal de Paris, 10 places seulement offertes au centre éducatif fermé de Savigny-sur-Orge, unique établissement de ce genre en Ile-de-France.

Les juges pour enfants que nous avons rencontrés perdent là aussi toute crédibilité puisque, dans les rares cas où l’affaire doit se solder par un contrôle judiciaire ou des mesures de placement éducatives, le manque de moyens ou de place (travail d’intérêt général, Centre Educatif fermé) conduit au même problème : après un jugement relativement rapide (4 à 8 semaines tout de même), il s’écoule de longs mois avant que la peine puisse s’appliquer.
La protection judiciaire de la jeunesse est totalement impuissante. La chaîne judiciaire là aussi s’interrompt au jugement. On comprend dans ces conditions pourquoi le malentendu entre le législatif et le judiciaire ne peut que s’accroître.

Les parlementaires votent des lois mais ont le sentiment, face à l’insécurité persistante, que l’Institution judiciaire démissionne. De leur côté, les magistrats sont confrontés à une inflation continue de leur charge de travail à moyens constants.

La situation est donc gravissime et exige que le fossé d’incompréhension entre parlementaires et magistrats soit enfin comblé. D’un côté, il faut cesser de livrer la Justice à la vindicte de l’opinion publique. De l’autre, s’il faut effectivement augmenter considérablement les moyens de l’institution judiciaire (il faudrait en réalité les multiplier par deux), cela n’exonérera pas la magistrature d’une révolution culturelle afin que chaque maillon veille à la continuité de la chaîne judiciaire.

La grande misère de la Justice, les polémiques politiques, l’impunité des délinquants et le désarroi des victimes ne sont pas prêts de s’arrêter. Et pendant ce temps, Rachida Dati veut « accélérer » sur la réforme de la carte judiciaire, c'est-à-dire la suppression de certains tribunaux par souci d’économies budgétaires.

Pire encore, elle veut pousser les feux sur la dépénalisation des délits économiques, ce qui reviendrait à adoucir sensiblement les peines de ceux qui sont moins à plaindre que d’autres et dont le montant des malversations dépasse très souvent le prix d’une mobylette volée… Le monde à l’envers !

Décidément, l’explosion n’est pas loin.

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