10 mai 2010

La monnaie unique se meurt, vive la monnaie commune!

Sur le site www.marianne2.fr
Par David Desgouilles - Antidote

La monnaie commune était l'idée de John Major et Edouard Balladur. Puis on est passé à la monnaie unique et ceux qui la critiquaient furent interdits de médias. Depuis une semaine tout change. David Desgouilles refait le match de l'euro.

C’est vraiment une drôle d’histoire. Voire une histoire drôle. L’histoire d’une idée. L’histoire de la trajectoire d’une idée dans les médias. L’histoire des hommes qui la portent. Et surtout, de ceux qui décident si, oui ou merde, elle aura le droit de cité sur leurs antennes. C’est l’histoire d’une semaine, celle où tout a basculé.
Au commencement étaient deux personnalités. Pas des gauchistes, ni même de grands rebelles. Qu’on en juge : Edouard Balladur et John Major. Nous sommes entre 1989 et 1992, soit dans l’intervalle où se prépare le projet de monnaie unique européenne. Le premier a déjà été ministre des finances et se prépare à devenir Premier ministre. L’autre succède à cette époque à Margaret Thatcher, 10 Downing street. Tous les deux proposent une alternative à la monnaie unique européenne, la monnaie commune.
Les deux projets diffèrent quant aux modalités (1) mais ils se fondent sur l’erreur économique que constituerait une monnaie unique. Major sera plus conséquent que Balladur. Il décidera de ne pas associer le Royaume-Uni au projet de monnaie unique. Mais en France, tout va basculer.

Car aussitôt que le projet de Traité de Maastricht sera connu, la quasi-totalité des médias vont l’appuyer. Etre contre, c’est mal. Et, treize ans avant le référendum donnant la victoire aux pestiférés (2), les partisans du Non à la monnaie unique n’étaient pas traités de la manière la plus élégante. Mais, un peu mieux quand même. Nous n’en étions qu’aux débuts. Philippe Séguin rappellera les projets alternatifs de Balladur et Major lors de son débat avec François Mitterrand. Or, Balladur l’a déjà oublié. Il a compris que refuser la monnaie unique, prendre le risque de passer pour un irresponsable d’anti-européen, c’est annihiler ses chances d’accéder à Matignon, en attendant mieux. Aussitôt Maastricht ratifié, tous ceux qui mettent en garde contre l’ECU, qui finalement prendra le nom d’Euro, seront confinés dans les corners extrémistes et/ou ringards. Chevènement et Séguin devront aussi, pour avoir une chance de revenir dans le jeu politique, accepter la perspective. De toute manière, eux ne sont pas comme Sarkozy et le PS en 2008, ils sont respectueux du suffrage populaire. Mais ce qu’on leur demande, c’est aussi d’abjurer leur foi eurosceptique. Ils ne doivent pas simplement s’incliner devant le vote de leurs concitoyens ; ils doivent fêter avec les autres l’avènement de cet Euro.

Séguin abjurera mais il le fera avec un mélange de zèle de néophyte et de mauvaise humeur évidente qui ne contentera personne. Ni ses partisans découragés dont je fus, ni les autres qui jamais ne crurent à sa conversion. Son destin politique qui aurait dû être grand échoua sur cette contradiction. Chevènement entreprit quant à lui une politique de limitation des dégâts. Il s’associa avec Jospin sur la base d’une idée simple : la monnaie unique d’accord mais avec l’Italie dedans pour empêcher un Euro cher comme il y eut un Franc cher, accroché au seul Mark, lorsque tous les autres dévaluaient. C’était pour lui le moindre mal. De fait, les débuts de l’Euro en dessous du Dollar, lui donnèrent satisfaction. Trichet prit ensuite la place à Francfort et laissa s’envoler la monnaie européenne.

Pendant toutes ces années, les personnalités politiques opposées à la monnaie unique n’eurent donc plus le droit de le faire savoir. Même parmi les personnalités nonistes de 2005 figuraient des personnalités qui ne regrettaient pas d’être passés à l’Euro. En tout cas, s’il s’y aventuraient c’était simplement pour suggérer que la monnaie européenne pourrait être gérée autrement que du seul point de vue allemand. C’est là qu’il faut s’intéresser plus particulièrement à Nicolas Dupont-Aignan dont je n’ai jamais caché que je me sentais proche politiquement. Je fais partie des gens qui, lors des réunions, l’exhortaient à ne pas jouer petit bras sur ce dossier. Lui hésitait. Il n’avait pas tort. Interdit des plateaux de France Télévisions par Arlette Chabot, ou alors en duplex, jamais invité lors des grands entretiens matinaux radiophoniques de France Inter, RTL-Aphatie ou Europe-Elkabbach, il se demandait à juste titre si une radicalisation de son discours, que constituerait la contestation de l’idée même de monnaie unique européenne, ne le grillerait pas définitivement. En ce qui me concerne, je pensais que cela ne pouvait pas être pire ; alors, autant assumer.

Et puis une digue a cédé. Un économiste considéré comme ultra-européen, Christian Saint-Etienne, a publié un livre où était expliqué tout ce qui arrive aujourd’hui. Pour lui, continuer d’avoir la même monnaie que l’Allemagne était, pour la France et l’Italie, une folie compte tenu de l’attitude de Berlin, laquelle s’employait à « dépecer à vif » nos industries. L’excédent commercial allemand ne se faisait pas vers l’extérieur de la zone euro mais à l’intérieur et à notre détriment au prix d’une compression salariale sans précédent. C’est là que nous autres militants de Debout la République furent à nouveau interrogés par Nicolas Dupont-Aignan sur l’opportunité d’imprimer enfin les fameuses affiches « Sortir de l’Euro ». C’était il y a un mois. Mais nul doute qu’en prenant l’initiative de nous poser la question, alors que c’était plutôt l’inverse auparavant, il était lui-même déjà décidé à sauter le pas.

Et puis il y a eu cette semaine. Une semaine médiatique incroyable. La crise grecque a eu quelques effets : c’était attendu. Mais on n’imaginait pas qu’elle ait pu en avoir jusque dans nos rédactions parisiennes. Il s’est notamment passé un moment assez surréaliste quand, mercredi à « On refait le monde », Christophe Hondelatte vit les trois autres journalistes rejoindre la langue de vipère habituelle Elisabeth Lévy sur le constat que cette monnaie européenne n’était décidément pas une bonne idée au départ. Et, très opportunément, il se demanda si cette unanimité anti-euro aurait pu se produire ne serait-ce que sept jours plus tôt. Quant à l’attachée de presse de Nicolas Dupont-Aignan, elle n’a jamais eu autant de sollicitations. Il faudrait que je prenne mon téléphone pour lui demander mais il est fort possible que cette semaine doit correspondre aux deux ou trois dernières années. Jusqu’à ce tremblement de terre, cette après-midi ou j’appris que le président de Debout la République était convié sur le plateau de Mots croisés lundi soir. Si même Arlette Chabot a levé son veto, c’est qu’il se passe vraiment quelque chose !

La boucle est bouclée. Après tout, expliquer qu’une monnaie commune vaut mieux qu’une monnaie unique n’était à la base qu’une idée de gens raisonnables. Si Chabot s’en souvient, si la plupart des rédactions parisiennes s’en souviennent aujourd’hui, c’est sans doute à cause de ce sondage, publié aussi cette semaine, et où on s’aperçoit que 38 % des Français rejettent l’euro. Près de 60 % des ouvriers et des employés, certes, mais surtout la majorité des jeunes. Et si l’européanisme obligatoire cédait la place devant d’autres totems, les sondages, le jeunisme ? Peu importe, en fait. La digue a cédé. Nous ne ferons plus profil bas.
Plus jamais.

1. Le projet de Balladur c’est un système monétaire européen renforcé, l’ECU de l’époque devenant monnaie de réserves vis à vis de l’extérieur, et les monnaies nationales persistant. Celui de Major, appellé Hard Ecu, souhaite la circulation pendant un temps indéterminé de la monnaie européenne avec les monnaies nationales, la première prenant le pas sur les secondes au rythme des utilisateurs.
2. Lesquels seront même insultés dès le lendemain : souvenons nous July fustigeant ses lecteurs nonistes dans un édito vengeur !

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